Ça commence par un ressenti d’une qualité très précise ; une sensation intérieure. On pourrait encore nommer celle-ci intuition, ou encore  état de présence.
C’est silencieux, c’est vide.
Cela n’a aucune forme visuelle, n’est soutenue par aucun mot, aucune image, aucune narration. Ce n‘est pas une émotion ni un sentiment.
En fait je ne sais pas ce que c’est.
C’est peut-être du désir.
On pourrait aussi dire simplement « Ça est là ».
Ce qui est sur est que « Ça » me guide tout au long du travail.
« Ça » me permet d’être dans un rapport intime avec la matière. Je suis alors dans la matière comme on se sent parfois faire partie intégrante d’un paysage que l’on parcourt.
 
Après avoir écouté vivre cette présence en moi, le travail consiste à la rendre visible et palpable, à la faire exister, à la matérialiser.
Ce travail se fait  à tâtons car je ne sais pas comment « Ça » va être.
 
Souvent ce sont d’abord le toucher et le geste qui me dirigent vers les matériaux et les  objets que je choisis.
Le toucher, le contact de la matière avec ma peau, mes muscles, mon système nerveux est capital. Il doit être source d’un profond plaisir.
Par ailleurs, le geste, c’est-à-dire la façon dont je vais manipuler objets ou matériaux  doit être juste. C’est-à-dire qu’en plus du plaisir ressenti, il lui faut s’accorder aux propriétés physiques (poids, solidité, souplesse…) des matériaux en question.
C’est alors que peut avoir lieu la rencontre intime, la danse qui s’improvise entre la matière et moi. De cette rencontre naît la forme dans mon travail.
 
Mes matériaux de prédilection récents sont, les cartonnages industriels préformés (boîtes à œufs, cartons à melons …), sacs en plastiques, sacs en papiers, filets à légumes,  balles de ping-pong, le papier froissé ou plié ainsi que la céramique.
Ces objets devenus matériaux m’attirent pour leurs qualités plastiques  et physiques ; aucunement par rapport au sens métaphorique, symbolique, politique, social ou autre qu’on pourrait y trouver.
 
Je suis littéralement absorbée, hypnotisée par la couleur. Je peux la travailler dans un état de ravissement extrême pendant des jours et des jours. Manipuler les couleurs, me donne cette qualité d’émerveillement qui est celle des jeux d’enfants. C’est un plaisir physique, immédiat, total ; une véritable  gourmandise.
Mes voluptés avec la couleur sont nombreuses.
Il y la fascination qu’exerce sur moi  la surface colorée par sa simple présence.
Il y a les passages infiniment subtils, jusqu’à l’imperceptible d’une nuance  à une autre  :  le dégradé.
Il y a quand on ne sait plus comment nommer une couleur : encore du rose, déjà du gris, ou peut-être un mauve ? Puis vient ce moment où il n’y a plus de nom ni de mots  pour une couleur, juste des sensations.
Il y a savourer les associations de couleurs  avec leurs qualités particulières : les douces, les amères, les salées, les piquantes…
La jouissance visuelle de la couleur se double d’un plaisir tactile, celui des textures des couleurs : onctueuse et grasse pour l’huile, crémeuse et veloutée pour la gouache, ou encore poudreuse et volubile pour le pastel.
 

Volume et couleur ou encore volume et dessin sont très intimement liés dans mon travail et cela en de multiples combinaisons.
Ce peut être un volume sur lequel il y aura de la couleur ou même du dessin. Par exemple une céramique sur laquelle je vais mettre de la couleur via le procédé du papier marbré (peinture à l’huile), ou sur laquelle je vais dessiner au crayon de couleur. Ce peut être un assemblage de dessins qui deviendront un volume par pliage ou froissage. Ce peut être un objet (boite à œufs) dont je vais peindre une partie du motif.
Ce peuvent également être des éléments ou objets colorés au départ (sacs en plastiques, pâte à modelée) que je vais  assembler pour créer un volume en couleur.
 

Le hasard et l’aléatoire sont d’autres composantes importantes de mon processus de travail. J’aime jouer avec la matière, être surprise par les résultats de mes actions. Je fais une proposition plastique : support, format, couleur, action. Mais je ne maîtrise pas la façon dont les éléments vont s’agencer, car la matière réagit à sa guise. Puis c’est de nouveau à moi de décider d’intervenir ou non, et si oui de quelle façon.
Je parle de jeu, mais je pourrais aussi parler de dialogue ou de duo  pour tenter de décrire le rapport que j’entretiens avec la matière.
L’encre ou la technique du papier marbré sont particulièrement appropriées  pour ce jeu.
 
Mon travail prend souvent  la forme de l’assemblage et cela aussi bien en dessin qu’en sculpture. Je réalise dans un premier temps un objet unique qui se suffit à lui-même. Puis me vient le désir d’en faire une série.
Au cours de ce travail, je peux ressentir le besoin d’associer entre eux les éléments de cette série.
S’amorce alors un très long processus d’assemblage. La difficulté (et en même temps le jeu !) est de créer un rythme, une ponctuation, un espace juste entre les éléments pour qu’ils se métamorphosent en une nouvelle pièce avec ses propres caractéristiques.
 
Je travaille l’espace de façon à le rythmer. Le rythme résulte du rapport entre les espaces  pleins, volumes ou surfaces, et les espace vide.
Différentes sortes de rythmes naissent selon les types de formes que j’emploie : formes organiques, formes géométriques, formes aléatoires. Chaque juxtaposition, confrontation, combinaison, de ces formes entre elles ponctuent l’espace d’une façon particulière.
Par exemple, j’utilise comme base le motif géométrique des cartonnages fabriqués industriellement (plateau à œufs par exemple). Puis je « brode sur le motif » à l’aide de  la peinture. Un rythme particulier se crée  alors grâce au jeu entre la base géométrique et les variations aléatoires que je lui adjoins.
L’espace ainsi rythmé s’anime. Il devient vivant.
Je ne le perçois plus alors uniquement par mes yeux, mais par toute la surface de mon corps.
Rythmes, formes, couleurs, matières concourent finalement à façonner, à créer, ou peut-être plutôt à découvrir ces espaces.
Je peux enfin dans  leur présence, respirer et me mouvoir librement ; me sentir entière, vivante.
Ces espaces ont la faculté de me permettre de vivre en leur sein  une expérience directe ; d’être à neuf.
 
Faire et contempler mon travail me donne une joie très profonde ; un peu comme celle que je ressens dans un paysage dont je me sens faire partie. Un paysage dont je suis simultanément le ciel, la terre, les herbes et les arbres ; les feuilles et le vent qui les agite ; le bruit de ce vent dans les feuilles et son souffle frais sur mon visage ; l’odeur de la terre et l’intensité de la lumière.
 
Faire mon travail est pour moi la façon la plus intime et en même temps la plus ouverte, la plus anonyme d’être présente au monde, d’exprimer ma présence au monde.
 
Marie Deren
Marie  Deren
 

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